C’est bien d’une anthropologie de la performance chantée dont il est question ; de la stylisation du personnage et de la personne d’Édith Piaf, à l’avènement de son iconicité. Une lecture inédite de la carrière de la chanteuse, décryptée de manière sociologique. Où l’auteur, Joëlle Deniot, s’attache à saisir les langages scéniques de Piaf, en la confrontant à d’autres grandes interprètes de la chanson française: Damia, Barbara, Juliette Gréco, Catherine Ribeiro.
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Au
début du vingtième siècle s'installe un
lien de fascination entre un auditoire
et des chanteuses, principalement des
chanteuses à répertoire grave.
Travaillant sur la chanson populaire
féminine, d'Yvette Guilbert à Édith
Piaf, Joëlle Deniot à travers l'étude
des documents sonores et visuels, met
l’accent dans ses recherches sur la voix
et sa mise en scène dans l’art de
chanter, la chanson réaliste.
Lorsque les phonographes, les disques,
la TSF .introduisent ces voix iconiques
de la chanson réaliste dans les foyers,
l'écoute s'individualise, se privatise.
La notion de public change, l'ambiance
du concert aussi ; mutation de l'écoute,
de la scène et de son esthétique,
mutation des registres vocaux
redessinent alors les relations entre
auteur/compositeur/interprète. Les
nouvelles conditions et orientations de
l'écoute préparent la réception intime
de leur répertoire de la chanson réaliste tragique.
L'affect d'identification au drame
social, personnel est d'ailleurs
amplifié par les jeux de miroirs
proposés à l'auditeur entre texte chanté
et biographie de l'interprète.
Mais le temps a fait son œuvre
d’embaumement …. De plus, la chanson
réaliste de l'entre deux guerre qui est
une chanson populaire "sentimentale"
hors registre militant, presque
exclusivement interprétée par des
femmes, évoluant très vite dans un
univers musical dépassé par l'arrivée
des rythmes jazz, et marqué par le recul
de la forme strophique de la narration
chantée cumule sans doute toutes les
raisons d'être rangée à l'écart, sous
l'étiquette "Folklore musette",
autrement dit non pas "œuvre brève",
mais seulement "curiosité passagère".
Et si cet écart était justement le
bienvenu, nous apprenant entre autres
qu’un tel répertoire parvient à suggérer
quelques inflexions de mœurs et
mutations de sensibilités encore
latentes en ce premier quart du siècle
dernier, qu’elle permet de se mettre à
l'écoute de ces signes souterrains en
œuvre dans l'histoire.
Culture d'oubli, de vertige, expression
du sujet et du corps tragique, ces
chansons, à travers un style de plainte
"primitive", au sens de plainte de
l'enfoui, de plainte radicale, à travers
une héroïsation de la voix, font naître
entre fiction et réalité, un dire du
"pathétique insoutenable du quotidien",
porteur de nouvelles identifications
populaires. Identification qui n'est
d'ailleurs pas seulement à entendre
comme ressenti primaire d'émois, mais
aussi comme correction, réorientation de
l'émotion.
Plus que des œuvres, ce sont des
figures, des empreintes vocales qui
s’imposent, qui sont offertes à
l'imagination cathartique, esthétique,
poétique de tous ... peuple prolétarien
de Montmartre, de Belleville, peuple
prolétarien des grands ports et au delà
peuple citadin large, lorsque les
intellectuels à la marge tels Colette,
Carco, Vallès, Desnos, Van Dongen ...
seront parvenus à transmuer, étendre et
"dignifier" l'aura de ces femmes le plus
souvent à la dérive, de
ces femmes, pourtant, inspiratrices de
troubles inouïs ; telles Yvonne George,
Fréhel, Damia, Berthe Sylva et Piaf bien
sûr.
Aborder la chanson réaliste, ses
espaces-temps, ses figures, ses
répertoires, c'est rechercher les
passages complexes entre l'œuvre
chantée et le monde social qu'elle
accompagne et révèle métaphoriquement.
Mais c'est aussi l'inscrire dans une
configuration esthétique dont le style
s'impose sous le second empire et
bouleverse - via le fait pictural
d'abord - les rapports entre l'artiste
et son public, entre l'art in situ et la
société en acte.
Étudier la chanson réaliste, c'est aussi
restituer cette petite œuvre brève
et noire, dans un ensemble plus
vaste, un tableau de correspondances.
Correspondances sur plan du théâtre, du
cinéma, sur le plan global de la
poétique qui travaillent en termes
d'échos, de traditions, d'homologies, de
lignes, de lignées, à l'avènement et à
la réception de cet élan chansonnier qui
est aussi scène, décor, allégorie,
galerie de visages et de gestes à
parcourir.
L'esthétique de la chanson réaliste a, plus que toute
autre, affronté la question des rapports
entre art, politique et société. Le
courant réaliste étant traversé par deux
tendances contradictoires, le
naturalisme et l'expressionnisme, il
s'agit de comprendre comment dans la
chanson de l'entre-deux guerre, c'est
cette seconde tendance qui s'impose par
la voix et la figure interprétatives des
femmes, grandes prêtresses d'un tragique
préparant à de nouvelles utopies, celle
du vertige, de la passion, du sentiment,
et de ses tourments.
Depuis les années 80-90, autrement dit
depuis peu, les sciences sociales,
interrogent leur propre pratique
d'écriture dans les liens imaginatifs,
narratifs, cognitifs entretenus avec la
littérature notamment.
Sur la base de travaux précédents - le
décor ouvrier -intégrant l'image
photographique et la parole des
habitants, en référence aussi à des
travaux antérieurs sur l'usine ayant
pour source essentielle la parole
ouvrière sur les savoir-faire, les
mobilisations collectives, la
camaraderie Joëlle Deniot interroge les
chemins d'une mise en écriture, sur les
mondes populaires, intégrant au texte
sociologique, ces éléments "étrangers"
de type polygraphique et polyphonique.
Le travail de recherche actuel sur la
chanson réaliste et de sa voix chantée
pose de manière particulièrement aiguë
les limites du dire analytique et la
question de la restitution d'une telle
approche par la seule ressource du
concept. Il y a, dans ce cas, d’une part
à libérer un dire de la pensée
métaphorique et d’autre part à tisser
des supports (texte, image et son)
susceptibles de s’entendre pour mieux
raconter ce chemin de la chanson à
l’imaginaire de la chanson réaliste, à
l’imaginaire de ces voix, qui
chantant leur mal finissent par
l’enchanter. Ce site s’inscrit dans
ce désir et cet essai d’écritures
croisées sur la chanson réaliste. |

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Les références des montages
iconographiques insérés dans ces textes,
illustrant la chanson réaliste
seront mises en ligne prochainement et
les images reprises sous forme de
planches photographiques
récapitulatives.
Des illustrations sonores des chansons
réalistes seront
également prochainement installées |
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